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tandis que les jambes ruaient, que les bras battaient l’air. Il semblait alors qu’on eût voulu la crucifier sur quelque croix horizontale, et qu’elle se défendît.

Des cris lugubres, des appels étranglés terminaient la syncope, emplissaient la demeure, fondaient enfin dans une débâcle de larmes et de plaintes. Elle appelait la mort, proclamait en mélopée son ennui de vivre.

Tout le pire recommença : courir soudain vers une fenêtre, l’ouvrir avec frénésie, menacer de s’y jeter ; ou sortir précipitamment, se mettre à arpenter les quais, à longer les canaux, à se regarder dans l’eau du haut des ponts, comme attirée par une image d’elle-même, guérie et si calme, et qui lui montrait ce qu’elle pourrait être, ce qu’elle allait être…

Joris devinait ces tentations de suicide, s’élançait derrière elle. Il tremblait, par peur du scandale d’abord, à cause du vieux nom de bourgeoisie flamande qu’il portait, dont l’hérédité pesait sur lui, et qui aurait pâti, comme d’une propre tache, du sang répandu sur lui ; ensuite, par peur du remords, qu’il présageait lancinant et quotidien, si Barbe s’était tuée. Il avait un de ces cœurs qui vivent en arrière. Certes, il souffrit beaucoup par elle. Il savait, néanmoins, qu’après l’avoir perdue, il s’en retournerait, pour la regretter, jusqu’au plus lointain de son passé, le temps où il l’avait aimée, le temps de la bouche trop rouge.