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grise et rose qu’il avait unifiée tout au long de la ville.

Cette œuvre de la beauté de Bruges, son œuvre, pour laquelle il avait vécu exclusivement, lui subordonnant tout, lui sacrifiant son temps, ses pensées, ses tendresses, ses envies de départ et de fuite quand la vie, à son foyer, devenait trop intolérable, cette œuvre qu’il avait espéré harmoniser et terminer et couronner des dernières guirlandes sculptées qu’il restait à faire éclore, voici qu’on décidait de la lui reprendre. Il n’y avait rien à faire. Mais c’était désolant comme le rapt d’une enfant, enlevée au moment où on allait la parer de sa plus belle robe.

Barbe, elle, se montra très irritée de la démission de Joris ; elle lui fit des reproches acerbes, accusa encore une fois sa légèreté, sa cécité ordinaires. Grief nouveau et incessant contre lui. Elle prétendit même que c’était un déshonneur et qu’il l’atteignait. Elle aurait à subir des ironies, des allusions blessantes à ce sujet. Bouleversée par cet incident, elle traversa encore une fois une période de grande exaltation. Elle ne décolérait pas, relançait Joris, provoquait des scènes à tout prix. Elle l’accablait d’invectives, de reproches interminables. Elle récapitulait en même temps toute l’histoire de Godelieve, la lâche trahison. Son état de santé, parallèlement, empira ; elle eut des attaques de nerfs, tombant tout de son long, la face morte, la bouche resserrée, soudain close et déjà comme une cicatrice,