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laient de maigres lampes. La salle apparaissait glaciale, avec ses bancs de bois, ses murs crépis à la chaux, son silence d’attente, ses ténèbres mal éclairées où de rares assistants offraient des visages immobiles, rangés comme dans un tableau. Un malaise régnait. C’était une froideur de catacombes où les paroles ont peur d’elles-mêmes, se fanent, meurent en route. On n’entendait qu’un bruit de paperasses froissées, les documents et les rapports, que Farazyn, assis à la table du bureau, compulsait.

Borluut s’était préparé aussi à la lutte, mais il la présagea tout autre. Qu’est-ce que c’est que cette assemblée d’aspect funéraire où quelques ombres entraient, s’asseyaient, ne bougeaient plus, avaient l’air de revenants qui recommencent à mourir ? C’était donc cela le « meeting monstre » annoncé avec fracas.

L’auditoire restait clairsemé. Pourtant, l’heure fixée était dépassée déjà. À peine, de temps en temps, un nouvel arrivant pénétrait, hésitait, s’intimidait, ouatait sa marche, allait s’installer sans bruit au coin d’un banc vide. Rares alluvions ! Le groupe des assistants, toujours restreint, apparaissait une masse silencieuse, confuse aussi. Car aucun n’osait ni ne désirait parler, mais tous fumaient et, à cause de la fumée, s’estompaient en un crépuscule gris. Leurs courtes pipes étaient surmontées d’un couvercle de métal pour contenir le feu, qu’on ne voyait pas. Et c’était plus d’obscurité mêlé à plus de silence. Ils exhalaient une méthodique fumée. On aurait dit