Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protesteraient avec lui contre les vandales, écraseraient le projet sous les rires et les huées. Est-ce que le ridicule ne sert pas autant que l’indignation ? C’est pourquoi Borluut avait obtenu de son ami Bartholomeus un dessin caricatural. Cela se fit en grand secret, car l’affaire de Bruges-Port-de-Mer était patronnée par les échevins et par la ville. Or, le peintre dépendait d’eux, puisqu’ils lui avaient commandé des fresques pour la salle gothique de l’Hôtel de Ville, qui n’étaient encore ni acceptées ni payées. Pourtant, il frémissait d’indignation aussi, à l’idée qu’on allait changer la ville, y faire du bruit, des démolitions et du nouveau, dans un vil but d’argent. Il consentit, esquissa pour Borluut une satire aux lignes simples, dans le goût populaire, naïve et forte comme une complainte : il y représenta des gens, avec leurs maisons sur le dos, qui se mettaient en marche, couraient après la mer, aperçue tout au fond et en fuite à leur approche, cependant que les maisons se semaient derrière eux pierre à pierre, et que la ville n’était plus que des matériaux.

Le dessin, colorié, fut tiré en affiches, qu’on colla sur les murs, à côté des affiches du meeting de la ligue. C’était la réponse juxtaposée, la lutte sur le même terrain, et qui nulle part ne fait trêve.

Borluut vibrait, traversait une atmosphère héroïque. Combien il méprisait maintenant tous les incidents misérables auxquels il attacha de l’importance : les vexations de Barbe, les regrets de Gode-