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des avenues, des voies ferrées, toute la laideur du commerce et des affaires modernes.

Bruges allait donc se renier elle-même ?

L’ère de la résistance s’ouvrit. Borluut possédait une influence réelle à la confrérie des archers de Saint-Sébastien, depuis qu’on l’y avait élu Chef-Homme. Il y alla plus souvent, se rencontra avec les tireurs, les habitués, toute une classe de petits bourgeois facilement maniables et que la tranquillité de leur existence ne poussait pas aux aventures. Il leur fit comprendre la question ; combien il était chimérique d’espérer le renouvellement d’une prospérité finie ; combien il était criminel, pour un but incertain, de ruiner la beauté authentique de Bruges dont la gloire, dans le monde, commençait.

Il y avait, du reste, ici un argument personnel et qui les décida dans leur hostilité publique contre ce projet de Bruges-Port-de-Mer : leur antique local lui-même se trouvait menacé. D’après les plans déjà produits, les nouveaux bassins, terminant le canal de jonction, seraient creusés précisément dans cette banlieue-là, à la place où s’élèvent les si pittoresques remparts, les deux moulins qui donnent à ce coin un aspect de Hollande, le local de la Gilde couronné par sa tourelle en maçonnerie du xvie siècle. Ainsi disparaîtrait la glorieuse tourelle, svelte et rose dans l’air comme un corps de vierge, comme la Patronne qui veille sur eux depuis des siècles, et qui tomberait, assassinée par les pioches. Barbarie égale à celle