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Au barreau il avait réussi, car ce projet le mit en relations avec des hommes politiques, des gens d’affaires. Il lui donna au surplus une attitude de civisme dévoué. Avec sa belle faconde sonore, et parlant toujours la langue rude des ancêtres de Flandre, il évoquait à toute occasion cette Bruges commerçante et marchande qu’il allait refaire, dès le fonctionnement du canal, et les nouveaux bassins remplis de navires, les coffres brugeois remplis d’or. Le mirage n’était point pour déplaire, encore que la population fût somnolente, répugnât à tout effort ; elle écoutait ce tableau d’avenir comme un enfant entend une histoire, s’y distrait à peine, incline au sommeil.

Borluut n’avait plus revu Farazyn depuis longtemps, depuis le fâcheux jour où son ami dîna chez lui avec Godelieve, se heurta au refus de la jeune fille. Après coup, Farazyn se montra fort irrité, tint rancune même à Borluut comme s’il avait été complice de son échec. Dès lors, quand ils se rencontrèrent, Farazyn l’évita, se détourna. Joris apprit dans la suite qu’il tenait maintenant des propos hostiles contre lui. Leur inimitié s’envenima par cette affaire de Bruges-Port-de-Mer, pour laquelle Borluut tout de suite conçut une vive exaltation, s’indigna comme d’un sacrilège, comprenant bien que si le projet était voté et le nouveau port créé, c’en était fait de la beauté de la ville : on abattrait des portes, des maisons précieuses, des quartiers antiques, on tracerait