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voltige sur les pignons comme un gnome sur le cadran historié d’une vieille horloge allemande. En France, il y a Rouen, aux architectures riches et accumulées, avec sa cathédrale comme une oasis de pierre, qui produit Corneille et puis Flaubert, deux purs génies se donnant la main par-dessus les siècles.

Ce sont les belles villes, sans doute, qui font les âmes belles. »

Ainsi Borluut s’était reconquis, agrandi aux pensées vastes et nobles.

Au-dessus de la vie ! Il monta au beffroi, désormais, comme s’il était monté dans son rêve, d’une marche allègre, tout allégé des vains soucis d’amour, des mesquines douleurs intimes, qui avaient trop longtemps alourdi son ascension vers les hauts buts. Il traversa une période héroïque. Le cadran de la tour lui étincela comme un bouclier avec lequel elle se défend contre la nuit. Et le carillon chanta des hymnes altiers ; non plus une musique égoustée, qu’on aurait dite les larmes de celui monté là-haut et qui pleurait sur la ville ; non plus même une musique éboulée, qu’on aurait dite des pelletées de terre précipitées dans la fosse d’un passé mort. Ce fut le concert de la délivrance, le chant mâle et libre de l’homme qui se sent délivré, regarde l’avenir, domine sa destinée comme il domine la ville.