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la couleur. Bruges deviendrait telle ; et lui-même, en récompense, jouirait, au moment de mourir, de toute sa durée, et, projeté avec elle dans les siècles, pourrait s’écrier comme Van Hulle : « Bruges est belle ! Bruges est belle ! »

D’ailleurs, ce n’est pas seulement au point de vue d’une œuvre d’art en soi, que la beauté d’une ville importe. Le décor, coloré, mélancolique ou héroïque, fait les citadins à son image. Joris discuta, à ce sujet, un jour, avec Bartholomeus, comme il était allé le visiter pour avoir des nouvelles de ses travaux, la grande fresque encore inachevée, symphonie en gris où il essayait lui-même d’enclore la beauté de Bruges.

Exalté, il développa son idée :

— « L’esthétique des villes est essentielle. Si tout paysage est un état d’âme, comme on a dit, c’est plus vrai encore pour un paysage de ville. Les âmes des habitants sont conformes à leur cité. Un phénomène d’un genre analogue se produit pour certaines femmes qui, durant la grossesse, s’entourent d’objets harmonieux, de statues calmes, de jardins clairs, de bibelots subtils, afin que l’enfant futur s’en influence et soit beau. De même on ne conçoit pas un génie originaire d’ailleurs que d’une ville magnifique. Goethe naît à Francfort, cité auguste où le vieux Mein coule parmi des palais vénérables, entre des murs où vit tout l’antique cœur germanique. Hoffmann explique Nuremberg ; son âme