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Barbe d’abord, Godelieve ensuite. Chacune l’avait fait souffrir à sa manière, et, en le faisant souffrir, diminua sa force, son élan contre la vie, sa supériorité sur les autres hommes, son don de création et d’art.

Puissance redoutable ! Pouvoir astral de l’amour ! L’homme est sous l’influence de la femme comme la mer sous la lune. Joris avait souffert de ne plus s’appartenir, d’être en proie à ce quelque chose qui est capricieux, change sans cesse, évolue, sourit, puis s’assombrit en des nuages et des éclipses. Vie en suspens ! Pourquoi ne pas s’affranchir et se posséder enfin ? Qui sait ? Cette souffrance par la femme est peut-être la marque du héros, l’expiation pour tous les êtres sensitifs, exquis et forts, et trop beaux ; la rançon des grands rêves et des grandes dominations, comme s’il fallait, après tant de victoires sur l’art ou sur les hommes, ce rappel de la misère humaine et que le vainqueur fût à son tour vaincu par la femme !

Joris ne voulut pas être vaincu. Il se redressa contre le découragement, le regret lancinant de Godelieve. Après tout, elle l’avait trahi, le délaissa vite, sans faute de sa part, au sommet de la passion, avec cette nuance d’une désertion, puisqu’elle l’abandonna en pleine crise, dans l’incertitude de la défaite et des ruines, face à l’ennemi, car Barbe s’était dressée véhémente et presque armée et le lapidant.

Ah ! l’une valait l’autre. L’excès de la faiblesse