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tout à fait, d’éloigner la moindre occasion de péché, même et surtout le petit bijou insidieux qui symbolisa le pacte.

Cependant Barbe, induite aux soupçons, n’avait pas cessé d’être aux aguets. Depuis des semaines, depuis des mois, elle vivait comme braquée, tous les nerfs tendus vers la certitude. Elle avait remarqué que Godelieve écrivait moins. Chaque soir, elle allait épier la lumière sous sa porte. Lorsque Godelieve sortait, elle l’accompagnait ou la suivait. Quant à Joris, elle profitait de ses absences pour fouiller dans ses vêtements, ses meubles. Elle était presque convaincue ; mais il lui fallait la preuve, une preuve qui serait l’évidence enfin, le témoignage irrécusable qu’elle pourrait apporter devant les coupables.

Joris, toujours négligent, avec l’esprit flottant, les yeux épars de celui qui s’en revient de la tour, avait jeté au hasard la bague de Godelieve dans le tiroir où était déjà la sienne. Barbe, durant ses investigations, un jour, vers la tombée de la nuit, trouva les deux bijoux, dans un coin, parmi des paperasses anodines. D’abord elle n’y prit point garde. Ce n’est qu’en voyant une inscription, à l’intérieur des anneaux, qu’elle s’étonna, se mit à lire ; il y avait le nom de chacun d’eux : Joris, Godelieve — et une date.

La date surtout accusait, car elle coïncidait — Barbe l’eut vite reconnu — avec celle de son départ