Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cahoté comme un corbillard ; le bourdon de Notre-Dame drapant par-dessus la ville un catafalque de sons ; les clochettes du Béguinage, elles, menaient le deuil blanc d’un enterrement de vierge ; la cloche de Sainte-Walburge cheminait en des crêpes de veuve. D’autres, plus loin, encore, sortaient des chapelles, des couvents innombrables ; on eût dit un vol d’âmes en peine qui tournoyaient dans le vent, cherchaient leur maison oublieuse, assaillaient le beffroi, venaient baiser son cadran d’or comme une patène.

Borluut lui-même plana dans la mort. Les cloches du carillon s’accordèrent. Leurs jeux aussi furent funèbres. La tour chanta la fin de l’amour, pleura Godelieve. Ce furent des volées lentes et douces, comme si le beffroi n’était qu’une humble église et que ses cloches convoquaient à des absoutes.

Puis le chant s’agrandit. Le carillonneur eut honte de sa douleur intime ; il exalta le clavier aux pensées vastes — et les grosses cloches intervinrent, entonnèrent le “Requiem” de Bruges, eurent vite fait de dominer les sons minimes des autres cloches, d’absorber tous les décès obscurs dans cette mort de la ville, qui était plus digne d’occuper les horizons !