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Mille images de deuil montèrent de la ville jusqu’au sommet de la tour, où Borluut regardait et s’attristait. Son âme, d’ailleurs, était à l’unisson. Il faisait gris aussi dans son âme, un temps morne de Toussaint. Joris se sentit seul. La petite phrase de Godelieve — qui, naguère, l’accompagna dans la tour, gravit les marches en riant, s’installa, vécut longtemps avec lui — était morte. Petite phrase câline qui était la voix de Godelieve et qui, parfois, s’incarna dans une cloche, chanta avec le carillon.

Dans ce temps-là, le carillon était joyeux et Joris, en l’écoutant, s’écoutait lui-même. Il n’entendait même pas les autres cloches en route dans le ciel de Bruges. Maintenant — est-ce à cause de la saison à l’atmosphère plus sonore, de lui-même sensibilisé par le chagrin, ou de la semaine mortuaire aux sonneries de paroisse plus insistantes ? — Borluut n’entendit que les autres cloches. Il s’étonna même de ne les avoir jamais qu’à peine remarquées, là-haut, auparavant. Le carillon tintait clair : toute la tour vibrait sous ses doigts, pour ainsi dire, et le chant qui sortait de lui revenait en lui.

Durant ces jours-ci, ce sont les cloches des églises qui l’envahirent. Le carillon, avec sa voix des jours passés, mais si dominée à présent, effacée par d’autres sons, s’obstinait encore un peu aux conseils allègres : « Vivre ! Il faut vivre ! » Mais les tocsins des églises proclamaient la mort, déroulaient des convois dans l’air. C’était le glas de Saint-Sauveur