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d’elle-même, afin qu’on fût moins triste ! L’oubli et les baumes étaient en elle. Entre ses bras, on se trouvait comme dans une anse. C’était la fin de la mer et de toute agitation. Voici qu’elle s’était reprise, refusa ses lèvres, puis ses mains, à plus forte raison toute rencontre au dehors, qu’il ne fallait plus espérer.

À peine lui écrivait-elle encore, parfois, mais si calme déjà ! Joris devinait bien qu’elle était vaincue par la peur et la foi, se détachait sans trop de secousses et avec des douceurs calculées. Elle lui disait : « Épurons-nous ! Notre amour sera plus grand d’être chaste, et fortifié par l’attente. » Elle lui parlait de sainte Thérèse, et de leurs propres noces enfin mystiques. Et, à cause même de ses lettres, brèves et toutes purifiées, il la sentit plus lointaine, réduit à ne plus l’aimer que comme on aime dans l’absence. Or, l’absence, n’est-ce pas la moitié de la mort ?

Godelieve était sa demi-morte. Il la pleura durant l’Octave des Trépassés, quand, monté au beffroi, il sentit plus que jamais, dans cet air gris des novembres du Nord, toute la ville en proie à la mort. De là-haut, elle semblait vide. C’était comme une ville en léthargie. Les canaux s’étalaient, inertes ; et des feuillages, éclaircis par la bise, aux prostrations de saules, y bougeaient comme sur des tombes. Malgré l’éloignement, on distinguait encore aux façades des églises, tout autour des portes, les faire-part funéraires annonçant les obits, les messes de trentaine et d’anniversaire, affiches de la mort !