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dans un temps, si exceptionnel qu’on puisse être, une âme, seule de son espèce. Car il faut que tout idéal s’accomplisse, que toute pensée se formule ; c’est pourquoi la Destinée s’assure de plusieurs qui soient d’accord, afin que l’un, à défaut de l’autre, arrive jusqu’à la réalisation. Il y a toujours quelques âmes ensemencées à la fois, pour que fleurisse, en l’une du moins, le lis immanquable.

Le vieil antiquaire était un flamand passionné de sa Flandre ; Borluut aussi, que son art d’architecte avait mené à l’étude et à l’amour de cette Bruges unique, qui apparaissait tout entière un poème de pierre, une châsse enluminée. Borluut s’était voué à elle, à l’embellir, à lui restituer toute sa pureté de style ; dès le début, il comprit ainsi sa vocation et sa mission… Il était donc naturel qu’il eût rencontré Van Hulle et se fût lié avec lui. D’autres bientôt s’étaient joints : Farazyn, un avocat, qui serait le porte-parole de la Cause ; Bartholomeus, un peintre, fervent de l’art flamand ; ainsi le même idéal suscita leur réunion hebdomadaire qui avait lieu maintenant tous les lundis, le soir, chez le vieil antiquaire. Ils venaient là s’entretenir de la Flandre, comme s’il y avait quelque chose de changé ou d’imminent pour elle. C’étaient des souvenirs, des enthousiasmes, des projets. De penser la même chose, il leur semblait posséder ensemble un secret. Ils en avaient une joie et un émoi. C’était comme s’ils avaient conspiré. Exaltation vaine de désœuvrés et de soli-