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et la perpétuelle surveillance de soi ! Quel désastre, quelle folie de colère, si Barbe, avec son humeur violente et terrible, découvrait leur secret ! Ils s’aimaient, semblait-il, sur un volcan ; ils s’aimaient comme en présence de l’orage.

Godelieve l’écrivait à Joris ; elle le lui disait, en ces brefs dialogues qu’ils échangeaient parfois, quand Barbe était à sa toilette ou s’occupait d’un soin du ménage, les laissant seuls un moment :

— Partons ensemble ? disait Joris.

Godelieve répondait d’un air triste :

— Pourquoi ? Nous ne pourrons jamais nous marier.

Catholique, elle savait bien que l’Église ne consent pas à bénir une seconde union. Le mariage chrétien est indissoluble. Et comment parviendrait-elle à vivre, elle pieuse et mystique, dans cet état ? La situation actuelle était différente. C’est Dieu lui-même qui avait béni son mariage avec Joris, dans l’église où ils échangèrent des anneaux. Elle était devenue vraiment sa femme devant Dieu. Ainsi ils ne causaient point de scandale. Cela se passait entre Dieu et eux. Il fallait en rester là. Leur amour ne devait pas être public ; il ne pourrait jamais s’avouer. Même si Joris obtenait le divorce, la loi civile hésiterait, réclamerait des dispenses à cause de la parenté et du quasi-inceste. Le monde, à coup sûr, se révolterait. Il leur faudrait partir, s’exiler