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le métal. Et les patines diverses du temps : les tons d’eau-forte, les oxydations étranges, la rouille comme un clair-obscur de Rembrandt. Les urnes vibraient encore, toutes frémissantes d’avoir chanté. Une grande cloche surtout attira Godelieve ; elle était plus haute qu’elle-même et suspendue à de massifs madriers. Toute une ornementation en relief la brodait. Godelieve voulut s’approcher. Joris, vivement, la dissuada, l’entraîna.

— Non ! ne va pas là…

Sa voix avait tremblé d’un subit émoi. C’était la cloche affreuse, la cloche de Luxure, avec tant de corps pâmés et de seins grappillés, le vase plein de péchés, le ciboire offert de l’enfer. Il ne fallait pas que Godelieve en communiât. Ses yeux étaient trop purs pour contempler cette immobile débauche. Et puis la cloche de Luxure fut la cloche de Barbe. Les voluptés de cette robe de bronze furent les voluptés de la robe de Barbe. C’est cette cloche qui le tenta, fut de connivence avec Barbe, causa tout le malheur. Il ne faut pas maintenant que Godelieve en approche.

Joris l’emmena, la conduisit vers une autre cloche, celle qui sonne l’heure, car le grincement des tiges actionnant les battants l’avait averti… Au bout d’un instant, le vaste marteau se releva, puis s’abattit sur le métal sonore. On aurait dit un coup de crosse frappant le silence. Toute l’heure sonna, épiscopale.

Joris et Godelieve écoutèrent, devenus graves. C’était l’heure qui s’accomplissait, irrémédiable, une