Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tinua-t-elle. C’est affreux, cet escalier sans fin. Mais ici c’est beau, et c’est bon !

Elle voulut regarder aux horizons. Joris l’attira contre lui, l’embrassa.

— J’aime de te voir ici. D’ailleurs, ajouta-t-il, tu y étais déjà un peu venue. Tu te rappelles ta phrase au commencement de notre amour : « Si Dieu avait voulu ! », la petite phrase qui décida de tout ? Le lendemain, c’était jour de carillon. En montant, il me sembla que ta petite phrase montait aussi, me précédait sur les marches, courait, revenait. Depuis lors, je n’ai plus été seul. La petite phrase, qui était ta voix, a vécu ici près de moi.

— Cher adoré ! fit Godelieve. Et elle lui entoura le cou de ses bras.

Elle ajouta :

— C’est ici aussi que tu as souffert ?

— Tant souffert ; si tu savais ! répondit Joris. Ma vie a été comme l’ascension noire que nous venons de faire ; mais qui toujours s’acheva dans de la lumière. C’est la tour qui m’a sauvé.

Il raconta alors comment il se réconfortait et s’exaltait en se répétant à lui-même : « Au-dessus de la vie ! », comme s’il s’évadait, quittait ses peines, les dominait vraiment, de si haut qu’elles cessaient d’être visibles et par conséquent d’exister.

— Vois comme tout est petit, là-bas !

Et il montra à Godelieve la vie éparse, la ville reculée, les belles campagnes en tapisseries. Il lui