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Il n’y avait plus que leurs deux voix qui survivaient, se cherchaient à tâtons.

Godelieve vit passer, comme aux lueurs d’un orage dans la nuit, des portes mystérieuses, des charpentes aussi tragiques que des gibets, des cloches surplombant, la cloche du Triomphe surtout, solitaire dans son grand dortoir, robe de bronze presque à ras du plancher, froc noir d’un moine damné.

Ils montaient toujours, captifs des marches et de la tour. C’était comme un préau en hauteur, une prison debout. Godelieve n’avait jamais eu si peur, vraiment une terreur panique, un effroi physique et qu’elle ne pouvait dominer. Quand viendrait la délivrance ? Bientôt une clarté naquit tout en haut ; la voix de Joris, devançant Godelieve, parla dans plus de lumière. Alors elle sentit toute une aube éclater sur sa tête. En même temps, un grand vent souffla, balaya sur son visage l’obscurité.

Ils venaient d’aboutir à la plate-forme, dans la chambre de verre, dont les baies vitrées ouvrent sur le paysage circulaire de la ville, l’immense campagne verte des Flandres, la mer du Nord qui, tout au bout, miroite. Dans un coin, s’offrait le clavier du carillon, ivoire jauni, clavecin qui attend…

Godelieve aussitôt s’étonna, s’émerveilla.

— C’est ici que tu joues ?

— Oui ! Tout à l’heure, tu entendras.

— Je suis contente maintenant d’être venue, con-