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— Si on me voyait ?

Joris lui persuada qu’il était facile d’entrer sans être aperçue ; d’ailleurs il n’y aurait rien d’étrange à ce qu’il lui eût pris la fantaisie de visiter le beffroi et de l’accompagner…

Ils montèrent ensemble. Ce fut tout de suite un grand émoi pour Godelieve, dans ces opaques ténèbres, cette fraîcheur de crypte. Il lui sembla qu’ils partaient mourir à deux. À cause de l’escalier très tournant, elle se buta d’abord contre les parois, faillit trébucher. Joris lui mit en main la corde de l’escalier, un câble rude et solide, servant de rampe, qui la guida. Elle tirait comme sur une ancre, avec l’espoir d’atterrir bientôt là-haut, dans de la lumière.

L’ascension fut longue. Ils traversèrent les larges paliers où s’ouvrent des salles vides, les greniers du silence. Puis il fallait repartir pour une nouvelle étape obscure. Godelieve n’osait pas regarder, ayant peur de tomber, d’être frôlée par des chauves-souris dont elle entendait les vols mous se déplier et se replier. Elle se sentait dans un cauchemar, où les couleurs s’aigrissent, où les formes et les sons correspondent et s’altèrent. Joris lui parlait, essayait de la rassurer, plaisantait pour l’enhardir. Godelieve répondait et marchait comme une somnambule. Elle s’effraya surtout de ne plus voir Joris, identifié avec l’ombre, et de n’avoir plus conscience d’elle-même, de s’être comme perdue.