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d’amour dont la croyance populaire veut que l’eau rende fou d’amour et fasse aimer jusqu’à la mort ? Pourtant nulle sorcière n’y vida des philtres. Aucune contagion de démence n’émana des calmes berges… Quand Joris et Godelieve arrivaient, à la nuit commençante, à peine un vent léger faisait balbutier les peupliers du bord, mais en plaintes sans paroles. Seuls des échos de prières, des ricochets de cloches sur les pignons et sur les toits, aboutissent là.

Alors pourquoi cette eau rend-elle fou d’amour ? Pourquoi fait-elle aimer d’une passion immuable ? Elle surtout en qui ne se mirent que des reflets versatiles, les nuages du Nord toujours en marche. Joris trébuchait de trop de joie. Godelieve souriait aux fines étoiles, à l’eau, aux nénuphars qui y abondent et qu’elle aurait bien voulu emporter.

Ils allaient, presque enlacés, extasiés de la paix du site et de la nuit, sans songer que quelque passant eût pu les voir, tout soupçonner, divulguer leur coupable amour. Ils ne songeaient plus à Barbe, comme s’ils étaient tout à fait maîtres d’eux-mêmes et du destin.

Est-ce que déjà le sortilège du Minnewater opérait, les affolant jusqu’à l’imprudence inutile et la démence d’aimer, qui se rit de l’Univers ?