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— Pourquoi ne l’as-tu pas dit ?

— Pourquoi ne l’as-tu pas vu ?

Ils sentaient tous deux que ce fut leur destinée de ne pas s’atteindre tout de suite. Joris, lui, songeait aussi au beffroi, à la cloche de Luxure, qui le tenta du désir de Barbe, à toute cette mystérieuse conjuration de la tour, d’où il redescendait, chaque fois, désorienté, trébuchant et mal clairvoyant parmi les hommes.

Il dit, comme se parlant à lui-même, mélancolique :

— Je suis si souvent aveugle dans la vie !

Puis, il demanda à Godelieve :

— Pourquoi m’as-tu aimé ?

— Parce que tu avais l’air triste.

Elle se mit alors à lui raconter une histoire de son enfance, un petit amour puéril de la pension, qui lui avait pris aussi par apitoiement. Elle était chez les Ursulines. Il y avait un prêtre qui faisait le cours de religion. Il n’était plus jeune et pas beau, avec son nez large, ses joues plantées d’un poil dur et noir. Mais une tristesse noyait ses yeux ; il avait l’air de porter en lui son cœur comme un grand tombeau. Les pensionnaires le trouvaient laid et se moquaient de lui. Elle, à le voir ainsi antipathique à toutes, prit parti pour lui dans son âme, pria à son intention et, pour le dédommager, se montra exemplaire à ses leçons.

Il était son confesseur ; elle alla se confesser sou-