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La gloire ? Ah ! la chimérique duperie ! Et comment peut-on, pour ses promesses posthumes, s’empêcher de vivre ?

Joris s’abandonna au hasard des journées. Celles-ci passaient, rapides et enchantées. Est-ce que les nouveaux amants ne sont pas très occupés ? Ils ont une vie intérieure active. Et ils se créent entre eux des rapports compliqués, subtils, minutieux. Ils veulent ne rien ignorer l’un de l’autre, se renseigner réciproquement à toute minute, dire la fleur de chaque pensée qui s’ouvre en eux, l’ombre du moindre nuage qui y passe. Chacun vit à la fois dans deux âmes.

Et ils ont tant à se conter ! Toute leur histoire, celle de leurs jours et de leurs nuits, en remontant jusqu’à la petite enfance, ce qu’ils ont vu, senti, désiré, rêvé, pleuré, aimé — et aussi leurs songes et leurs cauchemars, tout, sans restriction, en détail, et avec les nuances, car ils sont jaloux du plus lointain passé et du plus minime secret. Nudité sacrée de l’amour ! L’âme aussi ôte ses voiles un à un et se montre toute !

Joris ne rencontra chez Godelieve que de la douceur après de la douceur. Créature adorable qui toujours acquiesce, consent, accompagne, et avec quelles fines clartés d’intelligence !

Joris interrogeait Godelieve :

— Ainsi tu m’aimas la première ?

— Oui, tout de suite, dès que tu vins dans la demeure de mon père.