Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa défaite, comme un unique coup de cloche, plus tragique d’être unique. Son visage prit un aspect solennel, se transfigura, éclaira l’ombre. Dans ses yeux une certitude se leva comme une aube. Elle regarda Joris, bien en face, avec sérénité. Elle lui prit les mains, sans plus rien de sensuel, comme si elle touchait seulement des fleurs. Et elle lui dit d’une voix qui avait l’air de prier tout haut :

— Oui ! nous devons nous appartenir ! Mais pas ainsi. Nous irons d’abord à l’église. Je sens mon amour si avouable que je veux le porter devant Dieu, le faire bénir par Dieu. Dieu nous mariera, veux-tu ? demain soir, à la paroisse… Après cela, je ne serai plus moi… je serai tienne… ta femme.

Le jour suivant, vers six heures, Godelieve s’acheminait vers la cathédrale de Saint-Sauveur. Joris avait préféré cette église-ci, la jugeant plus belle et voulant de la beauté autour de leur amour. Elle entra par une porte latérale, et alla l’attendre, comme il était convenu, dans une des chapelles de l’abside. Sans savoir pourquoi, elle avait peur. Qui aurait deviné ? Qui les aurait soupçonnés en les voyant là ensemble ? N’est-elle pas sa belle-sœur, avec laquelle il n’y a rien d’anormal à sortir, entrer dans une église, prier un peu ? Pourtant, elle avait épié, avec une petite angoisse, les quelques fidèles épars dans les nefs. C’étaient des femmes du peuple, humbles servantes de Dieu, presque ensevelies dans leurs