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VI


L’amour éclata en eux comme un printemps. Il suffit d’un jour de soleil pour rosir tous les pêchers, couvrir de feuilles les vieux murs. Leurs préjugés aussi, leurs craintes, leurs scrupules disparurent instantanément sous une explosion de fleurs, cette montée odorante d’un renouveau. Ils eurent conscience qu’il n’y fallait point résister. C’était enfin la saison due, l’avènement inévitable. C’était le cours régulier de la Nature, leur volonté triomphante, après tant d’épreuves et d’attente. Ils furent le couple longtemps fiancé, séparé par le temps et la mer, qui se mérite et se rejoint. Et il ne fallait point en bénir le hasard. Une manigance plus mystérieuse avait tout agencé : cette névrose grandissante de Barbe, la désunion du ménage, ce départ solitaire qui les laissait à deux, en proie à eux-mêmes. En réalité, la loi de leur vie reprenait son sens, recommençait à couler selon sa pente, après avoir un moment disparu parmi des cailloux et sous terre. Tout ce