si douce sécurité. Certes, elle n’avait pas pu se défendre tout à fait d’aimer Joris, puisqu’elle l’aimait depuis toujours, et même de le lui laisser voir. Mais elle songeait sans trop de honte à ces petits bonheurs qu’ils se donnaient ou se cueillaient, pour ainsi dire, à la dérobée, dès qu’ils se trouvaient seuls, et comme par hasard : étreintes rapides, mains qui s’attardent, lèvres si peu appuyées, tout cet amour à peine encore charnel, et qui n’est que pour accoupler les âmes.
Godelieve consentait à ces baisers anodins, qui ne semblaient pas très différents des baisers d’une belle-sœur, et qu’elle aurait pu avouer, sans le trouble intérieur qui lui en venait, le divin retentissement de tout son être, comme si une hostie avec le visage de Joris descendait en elle.
Et puis n’était-ce pas une œuvre pie, un devoir de charité familiale et de pitié humaine, de donner à Joris le réconfort d’un peu de tendresse, la bonne gourde de ses jeunes lèvres dans son foyer aride et en feu ? Non ! Elle n’avait point à rougir de cet amour, dont elle osait parler à Dieu.
Mais aujourd’hui que Barbe était partie, elle soupçonna obscurément que tout changeait : c’était fini, la sécurité, l’intimité innocente, les privautés vénielles, l’amour sans tache qui aurait pu durer jusqu’au bout de leur vie. Ils allaient se trouver seuls, par conséquent libres et tentés jusqu’au pire.
Le soir, à table, en tête à tête pour le souper, une grande gêne fut entre eux. Godelieve avait rougi en