Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’empressait derrière elle, devenu pâle lui-même comme s’il allait défaillir, le cœur battant à coups d’horloge dans sa poitrine, angoissé, avec la peur du scandale, et aussi une douleur peu à peu née pour cette pauvre Barbe, qu’il croyait ne plus aimer mais ne pouvait supporter d’imaginer morte, tachée du sang d’une chute ou des herbes aquatiques d’Ophélie.

Malgré tout, il se ressouvenait des commencements, la revoyait sous le voile blanc de leurs noces, songeait à l’ancienne bouche trop rouge.

Barbe tomba à des prostrations, des mélancolies sans fin qui facilitèrent la pitié. Ce fut la détente, la période d’abattement après celle de l’exaltation. Elle sembla sortir des ruines. On eût dit qu’elle avait longtemps marché dans la pluie. Quelque chose de fané émanait d’elle. On songeait à un naufrage en la regardant, et qu’elle avait vu la mort.

Elle semblait au regret d’en avoir réchappé, d’être assise dans sa maison.

— Je vous gêne, disait-elle parfois à Joris. Nous sommes malheureux. Il vaut mieux que je meure.

Joris tressaillait ; elle n’avait pourtant rien pu deviner de son amour pour Godelieve, qui demeurait bien secret et clos au fond de lui. Mais est-ce que l’instinct n’est pas quelquefois visionnaire ? Joris repoussait le propos qui lui faisait peur et qui avait touché une chose à laquelle il ne voulait pas penser.