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Pourtant Joris s’exalta, rayonna du renouveau qui lui mettait le cœur en fête. Depuis que Godelieve avait parlé, il sentait en lui quelque chose d’imprévu et de délicieux, on ne sait quoi qui n’est pas une musique et qui chante, une clarté qui n’est pas du soleil et qui éclaire. Miracle du printemps de l’amour. Oui ! il recommençait à aimer, car il se sentit soudain un cœur neuf et des yeux neufs. La vie, hier encore, était si vieille, si fanée, si usée d’efforts et de siècles ! Aujourd’hui, elle lui apparaissait nouveau-née, sortie elle aussi d’un déluge, avec des visages vierges, une verdure qui s’inaugure !

L’amour nouveau suscite un Univers nouveau.

Pour Borluut, l’émerveillement se compliquait d’une sensation de convalescence. Qu’on imagine un malade longtemps en proie à des crises et des affres, accablé par le demi-jour, des odeurs fades, la diète, des potions, les pulsations fiévreuses de la veilleuse, tandis qu’il ne pense qu’à mourir ; puis soudain le revirement, la guérison, celle qui fut la garde-malade devenant aussitôt l’amoureuse.

Joris entra ainsi de plain-pied de la mort dans l’amour. Car il aimait.

Ce qui ne fut d’abord qu’un trouble, l’émoi de la présence d’une femme jeune dans sa maison, devint bientôt une obsession, de l’amour déjà, la griserie d’une passion mutuelle.

Car le fait d’habiter avec elle l’illusionnait. Ils vivaient ensemble, tout le jour et la nuit, sous le