aimait Godelieve. Elle aussi l’aimait. Que n’avait-elle parlé, au lieu de Barbe qui s’enhardit, le décida, l’engagea d’un brusque baiser inaliénable ? Décidément la Destinée fit tout. Joris se rendait compte qu’il avait si peu choisi. Mais qui peut choisir ses amours ? Les circonstances nous enveloppent, agissent d’elles-mêmes, nouent des fils dont on ne s’aperçoit que quand les cœurs sont liés.
À quoi tient le bonheur ou le malheur de toute une vie ? Joris comprenait à présent combien l’alternative, pour lui, fut décisive. À choisir Barbe, il avait épousé tout le malheur ; à choisir Godelieve, il aurait épousé tout le bonheur.
Et cela n’avait tenu qu’à une minute, à une seule parole, à un minime détail. Si Godelieve avait fait un signe, proféré un mot, laissé deviner l’ombre de l’amour qui était en elle, tout advenait autrement. Trois existences étaient changées. Et la sienne eût coulé comme une eau heureuse, dans un lit de fleurs. Mais Godelieve n’avait rien dit ; lui-même ne soupçonna rien. C’est Van Hulle qui le lui révéla, dans un grand trouble, lors de sa demande en mariage, quand il crut de prime abord qu’il s’agissait de Godelieve, et s’alarma aussitôt, s’affola à l’idée de la perdre.
Joris aujourd’hui songeait à cet amour de Godelieve ; il se demandait :
— Comment m’a-t-elle aimé ?
Certes, ce n’était pas un de ces émois passagers,