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sur ceux d’alentour, espaces de cours grises, de pelouses vertes et d’arbres. Borluut regarda sans voir, morne de la mort contemplée, et qui lui avait été un exemple, une leçon comme promulguée du seuil de l’Infini !

« Elles ont sonné ! » Borluut avait compris tout de suite. Le vieillard, mourant, atteignit son rêve ! Il n’avait donc pas espéré, ni voulu, à tort. C’est à force de désirer les choses qu’on se les mérite. L’effort humain n’est pas vain. C’est l’effort qui seul importe, puisqu’il s’accomplit quand il s’achève. Donc il se suffit à lui-même et se consomme en soi.

Ainsi, le vieil antiquaire avait tant souhaité que ses horloges et ses pendules, un jour, fussent à l’unisson.

Il les entendit sonner, en effet, toutes à la fois, la même heure, l’heure de sa mort. C’est que la mort est l’accomplissement du rêve de chacun. On touche, dans l’au-delà, ce qu’on a convoité durant la vie. On est donc soi-même enfin, réalisé !

Borluut tomba en des abîmes de rêverie, songea à lui-même. Il avait aussi vécu jusqu’ici en plein rêve, fervent de la beauté de Bruges, avec ce seul amour et ce seul idéal, qui déjà le consolèrent dans les quotidiens déboires d’un foyer sans bonheur. Il fallait s’en tenir à ce rêve, avec un désir immense et exclusif. Car le rêve, songeait-il, n’est pas même un rêve, mais une réalité anticipée, puisqu’on l’atteint au moment de la mort.