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effrayée et soudain espérante. Elle prétendit que le père avait voulu parler, qu’elle avait distinctement entendu son cri, quoique vague et à demi submergé. Il avait dit : « Elles ont sonné… »

Balbutiements de l’inconscience, images confuses du délire ! Peut-être aussi qu’il avait senti, par ondes et moires successives, du fond de son enlisement, ce qui se passait à la surface de la vie. La parole attestée par Barbe s’expliquait. De la cérémonie de l’extrême-onction, il ne perçut sans doute que le bruit de la clochette de l’enfant de chœur, par une survivante sensibilité de l’ouïe qui en avait transmis, grâce au fil d’un dernier nerf lucide, la sensation au cerveau. « Elles ont sonné ! » Il avait peut-être entendu le tintement, vibration instinctive du tympan, ultime écho de la vie. Aux confins de la mort, il écouta la clochette sonner…

Mais alors pourquoi ce pluriel ? Barbe sans doute, trop nerveuse, et mirant la mort, s’hallucina d’une phrase qui n’était née qu’en elle.

Toute la journée, le malade râla, parmi la demeure calme. À cause du grand silence religieux, ce silence d’église que la maladie suscite autour d’elle, on entendait les tic-tac enchevêtrés et grinçants du Musée d’horloges. Les balanciers allaient et venaient ; les rouages avaient l’air de moudre le temps ; c’était un bruit continu, un peu éraillé et qui ponctuait. Godelieve s’attendrit en les entendant. Son père les aimait tant ! Avec elle-même, ce furent ses plus