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Or elle avait fait une promenade récemment en compagnie de son père qui, toujours sédentaire, eut brusquement ce caprice de sortir avec elle, pris de tendresse et d’affectueux abandon, comme s’il avait eu un remords de la dernière heure, un regret de trop de froideur depuis si longtemps entre sa fille et lui. Ils avaient déambulé longtemps, au hasard, à petits pas, leur marche rythmée, pour ainsi dire, par la cadence des cloches qui, tout cet après-midi, tintèrent sans répit du haut des clochers dispersés. Glas de paroisse pour des obits du lendemain ! À la porte de Saint-Sauveur et aussi sur les murs vétustes de Notre-Dame, Barbe remarqua, comme elle n’en avait jamais tant vu, les grands papiers funéraires, faire-part publics, qu’on affiche selon la coutume, pour annoncer le service comme un spectacle. Et le nom du défunt y éclate, en vedette. Ils avaient aussi rencontré un cercueil porté à bras par les ouvriers d’un menuisier, et qu’on conduisait, apparent et nu, vers quelque demeure mortuaire. Décidément la mort était dans l’air, circulait autour d’eux.

Il fallait un avertissement plus décisif. En arrivant derrière l’Hôpital, ils virent tout à coup, sur le petit pont, un rassemblement. Les hommes criaient, des femmes jetaient les bras au ciel, blanches de stupeur. Ils apprirent qu’on venait d’apercevoir un noyé, un corps qui flottait là-bas, flasque et tuméfié, dans le canal glauque. À cet endroit, l’eau se fonce, abdique tout reflet ; on dirait qu’elle descend tou-