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XVI


Barbe était superstitieuse. Avec son teint d’Espagne, cette chair où saignait sa bouche trop rouge, elle avait bien le visage de son âme. Car elle brûlait intérieurement d’une foi, espagnole aussi, religion violente et ténébreuse, pleine d’affres, de blessures de cierges, de peur de la mort. Cent craintes superstitieuses tourmentaient sa vie comme les mailles d’un cilice. Le vendredi de chaque semaine et le treize de chaque mois, elle demeurait en suspens et dans l’attente d’un malheur. Un miroir brisé était le présage d’une agonie. Il est vrai qu’elle eut plusieurs fois la confirmation de ses pressentiments et de ses songes. Peut-être qu’à cause de son étrange névrose, elle était avertie de ce qui allait venir. Ses nerfs communiquaient avec l’invisible. Ils nouaient leurs fils aux deuils en chemin, aux cloches prochaines, aux cœurs consanguins et jusqu’au cœur de Dieu. Télépathie mentale qui va d’âme en âme, comme la télépathie astrale va d’étoile en étoile.