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reuse ironie de la vie, à mesure que son foyer s’assombrissait, sa situation grandit. Les travaux, les commandes affluèrent. Il retrouva et remit à neuf des centaines de maisons des XVe et XVIe siècles. De plus, il venait d’achever sa reconstitution de la Gruuthuus qu’il considérait comme son chef-d’œuvre. Le vieux palais, quand on le lui livra, était tombé dans la misère. Triste déchéance d’une noble architecture où l’on voyait encore sur la façade les armoiries de Jean d’Aa, seigneur de céans, adoptées par lui en 1340. Le roi d’Angleterre y avait séjourné lors des guerres de la Rose Rouge. Maintenant, l’antique palais avait abouti au pire. Il servit de Monts-de-Piété. Hardes des pauvres parmi ces murs qui semblaient eux-mêmes les hardes des siècles ! Pauvreté dans de la pauvreté, comme des larmes dans la pluie. Borluut avait regardé le palais, ainsi qu’on regarde un mendiant. Comment faire que le mendiant laisse tout à coup choir ses guenilles et apparaisse vêtu de merveilleuses étoffes, de bijoux rares, d’un luxe de prince rentrant dans sa ville ? Comment se décrasser de la souillure des âges ?

Borluut accomplit le miracle. Il galvanisa les ruines.

Il rendit la vue aux fenêtres aveugles, guérit les pignons perclus, fit se dresser les tourelles accroupies. Il ranima les bas-reliefs, rongés par la pluie et le temps, visages en fuite, souvenirs perdus dans la mémoire qui soudain émergent, se précisent. Un