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hésite, alterne avec la pitié. Quoi qu’il en soit, concluait Borluut, elle a fané ma vie.

Il s’attendrissait alors sur lui-même, pleurait sa destinée sans issue, et qui n’avait même pas la douceur de la douleur.

D’autres foyers sont attristés par les maladies ; mais il y a les maladies dolentes et qui font qu’on aime davantage. La femme s’affine de pâleur, s’angélise. C’est doux et triste comme la veille d’un départ. Les rideaux du lit ont des frissons de voiles…

Des états maladifs comme celui de Barbe — en supposant qu’elle ne fût pas simplement mauvaise — étaient crispés, hostiles, décourageant les tendres soins, repoussant toute potion calmante, viciant les fleurs qu’on apporte pour compagnes. Ces maladies-là excèdent et font bientôt qu’on se détache.

Joris sentait son amour fini, après tant de ballottements, d’alternatives douloureuses, entre des violences et des retours de tendresse. Flux et reflux qui joua avec sa joie. Enfin il avait retiré son cœur de ces jeux de marée. À présent il se jugeait reconquis, rendu à lui-même, indifférent aux péripéties quotidiennes, rentré seul dans cette dernière chambre de son âme où chacun peut enfin s’atteindre et se posséder soi-même. Une peine lui survivait : c’est de n’avoir pas au moins la compensation des enfants, et qu’il y eût autant de silence dans sa demeure que dans son âme. Ceci aussi était la conséquence sans