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velle de cailloux. Joris ne savait plus de quelle façon agir, répondre, pallier ces scènes, d’où il sortait l’âme comme courbaturée. Il avait beau chercher à les éviter ; elles se produisaient d’elles-mêmes. On aurait dit que Barbe avait ses saisons d’humeur, son équinoxe aux retours réguliers. En vain aussi se traçait-il à l’avance un plan de mutisme et d’immédiate concession. Il ne s’en trouvait pas moins, chaque fois, tout dépourvu, incapable de déchiffrer ce grimoire de nerfs.

D’abord il avait cru simplement à un caractère mauvais, une nature irascible et fantasque. Maintenant il ne pouvait pas s’empêcher de supposer qu’il y avait une part d’inconscience dans les accès de Barbe. Il se disait : « Évidemment, c’est une malade… »

Et il songeait aux étranges névroses qui de tous temps ont avili l’humanité, écheveau intérieur qui ligote la volonté et toute l’âme. Fléau empiré en ce siècle, par suite du déclin des races et de l’hérédité accumulée. Pour Barbe, il se rappelait qu’on lui raconta la mort prématurée de sa mère, victime aussi d’un mal obscur.

— N’importe, disait Borluut, qu’elle soit malade ou simplement méchante, je n’en souffre pas moins ! Et j’en souffre à cause du doute. Où commencent la maladie et la méchanceté ? Jusqu’à quel point est-on conscient ou inconscient ? Si la colère monte d’elle-même, encore choisit-on ses mots. Et ainsi, la haine