Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Joris connut les régions profondes de son âme. Il comprit ce qu’il avait à peine soupçonné, presque oublié, depuis le temps où l’antiquaire lui avoua étourdiment le trouble de Godelieve.

Il avait cru à un de ces vagues émois, comme en ont toutes les jeunes filles, élan d’un cœur qui se pose au hasard, déploiement d’ailes au bord du nid.

Maintenant, il pressentait qu’elle avait eu pour lui un vrai amour peut-être. Était-ce à cause de cet amour qu’elle demeurait désenchantée, refusait tout nouvel essai de bonheur ? Était-elle de celles qui, après une épreuve unique, jettent la clé de leur cœur dans l’éternité ?

Joris continua à la regarder, sans rien dire, sans plus la voir, perdu dans des songeries, évoquant le charme triste qu’ont les choses non abouties, les projets renoncés, les voyages manqués, tout ce qui pouvait être et n’aura pas été.