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dîner chez lui, seule. Lui-même serait invité aussi, ce jour-là. Et, après le repas, on les laisserait à deux, un moment, comme par hasard.

Un dîner eut lieu, conformément à leur amical complot. Le vieil antiquaire avait bien maugréé ; mais puisqu’il était un peu impotent et valétudinaire, en ces mois de neige et d’hiver âpre, il dut renoncer, cette fois, à accompagner Godelieve. Le repas ne fut point morose. La table rit du rire des argenteries et des cristaux. Chacun semblait avoir guéri sa peine intérieure. Un air de fête circulait. Farazyn parla beaucoup, avec grâce, avec force, une jolie abondance, un flux et un reflux d’idées, ingénieusement combinés pour déferler en vagues câlines vers Godelieve. Il parla de la vie, des combats de l’homme, et de l’amour qui est pour lui la bonne étape, la halte, le relais nécessaire, auberge du sourire et des tendres soins. Barbe aussi s’animait, un peu incrédule sur le bonheur, sur l’importance de la passion. Farazyn s’obstina, plaida, eut des paroles de flammes et de fleurs, toute cette éloquence un peu bariolée et facile qu’il tirait à tout propos de lui, phrases creuses, bulles multicolores, avec lesquelles il jonglait sans fatigue et inépuisablement.

Godelieve demeurait impénétrable.

Quand on eut servi le café, Barbe s’éloigna sous un prétexte. Joris la rejoignit, au bout de quelques minutes.

Quand ils rentrèrent dans la salle à manger, une