Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les coups de cloches. Or, si les cloches affligent, c’est moins à cause de leur son triste qu’à cause de ce silence qui suit, un de ces longs silences où le son meurt, tombe dans l’Éternité…

D’ailleurs, les beaux temps de la Cause semblaient révolus. L’antiquaire, qui en fut la première âme, en fièvre et en fête, vieillissait décidément. Il apparaissait désintéressé de la vie extérieure, orienté vers des joies intimes et secrètes. Quant à Bartholomeus, il ne fut des leurs que par rancune, parce que ce mouvement flamand, prenant les allures d’une conjuration, pouvait aussi exprimer son irritation propre d’être une force sans emploi. Maintenant qu’il avait reçu la commande d’une fresque communale, il était pacifié, tout ressaisi par sa joie de l’œuvre et son culte mystique de l’art.

Même Farazyn, prolixe et exalté, ne parlait plus beaucoup, assistait aux réunions chez l’antiquaire plutôt par routine.

— J’y vais pour voir Godelieve, déclara-t-il à Borluut, en s’en revenant avec lui.

Borluut ne répondit rien.

— Oui ! elle est charmante à regarder.

Et il se complut à la décrire, à parler de ses cheveux si blonds, de son pensif sourire, du mouvement joli de ses mains jouant avec les fuseaux quand elle faisait de la dentelle ; il l’évoqua toute, textuelle et présente, lumineuse parmi cette ombre nocturne de Bruges où ils déambulaient.