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forme. On sentait que toutes les couleurs étaient en dessous — mais effacées. Au bord, les premières vagues faisaient un bruit de lavandières, battaient des linges clairs, tout un trousseau de suaires pour les prochaines tempêtes.

Borluut marcha longtemps dans cette solitude qui était comme la fin d’un continent. Plus de traces humaines. De temps en temps une mouette avait un grincement de poulie.

Il se sentait plus allègre, renouvelé par le voyage, libéré de lui-même et de sa médiocre vie, agrandi aux pensées de l’Infini. Or, tandis qu’il s’était longuement attardé, la marée monta, envahit la grève, l’amollissant, trempant d’un déferlement de larmes le cœur aride du sable. La houle arrivait du large, bavait une écume courte, semblait devoir charger plus loin, s’engendrant d’elle-même — mais elle s’était arrêtée soudain à une limite précise, jamais franchie, une bande de la plage, qu’un amas de coquillages ourlait, marquait d’une frontière de verroteries. Au delà, un sable dense et qu’on sentait vieux de siècles. Aucune marée ne l’avait plus atteint. Celle d’aujourd’hui s’arrêta aussi, juste à temps. Nul flot ne rafraîchit la sépulture de l’ancien bras de mer, tari et mort sans rémission. Le corridor de sable blanc demeura vide et nu.

Pourtant la ville de L’Écluse était là, très proche, en somme ; on en voyait le clocher, émergeant des arbres que le couchant faisait plus vastes.