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tes, entraient avec la marée, portaient vers la ville les laines d’Angleterre, les pelleteries de Hongrie, les vins de France, les soies et les parfums d’Orient.

L’endroit naguère était prospère et fameux dans tout l’univers. Borluut se ressouvint que Dante lui-même le cita en son Enfer :

Quali i Fiamminghi tra Cazzante e Bruggia,
Temendo ’l flotto che inver lor s’avventa,
Fanno lo schermo, perche ’l mar si fuggia.

(Tels les Flamands entre Cadzand et Bruges, craignant le flot qui s’avance vers eux, élèvent une digue pour échapper aux assauts de la mer.)

C’est au chant XVe où il décrit les sables du septième cercle qu’environne le ruisseau des larmes.

Borluut songea que les canaux des villes d’ici, trahies par la mer, étaient aussi des ruisseaux de larmes, non seulement à Bruges, mais à Damme, mais à L’Écluse qu’il traversa le matin pour arriver, pauvre petite ville morte, où il avait vu un seul bateau dans le bassin, et qui s’illusionne ainsi par un simulacre de port. Quant aux sables du Dante, il les retrouvait également, dans les dunes accumulées. Paysage austère ! Borluut était seul, rien qu’avec du ciel et de l’eau. Nul pas, autre que le sien, n’avait marqué dans cette immense étendue, ce désert blanc qu’était aujourd’hui l’ancien avant-port de Bruges.

Le lieu était d’une désolation infinie, à cause surtout de ces dunes, chaîne de collines inanimées,