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Ç’avait été comme un grand amour qui se retire. Et la ville en était restée triste à jamais, comme veuve.

Il compulsa les archives, de vieilles cartes, celle de Marc Gérard et d’autres qui indiquent l’ancien canal de communication ; mais les précédentes manquaient, celles où on aurait vu la mer du Nord proche de la ville, c’est-à-dire à Damme, que baignait la marée. Celle-ci, plus tard, n’arriva plus qu’à L’Écluse ; puis il y eut des ensablements successifs, un recul de la mer, si bien que L’Écluse à son tour resta assise au milieu des terres, répudiée. Très rapidement, en moins d’un siècle, ce déplacement de marée fut complet. Toute la partie appelée le Zwyn, et qui était naguère un bras de mer s’avançant en Flandre, se combla au fur et à mesure. On en pouvait voir le lit, un vaste corridor de sable, qui part de la côte où désormais la mer s’arrête.

Un jour, Borluut alla visiter cette embouchure morte.

Tout était intact, conservait la forme d’autrefois, comme les fosses fermées, dans les cimetières de campagne, gardent la forme du cadavre… Même les dunes s’évasent de chaque côté, cessent de faire face à la mer, se rangent en courbes parallèles comme les berges survivantes d’un cours d’eau aboli. La largeur est immense et certifie encore ce que fut ce bras de mer où les mille sept cents navires de la flotte de Philippe-Auguste évoluaient. Par là, les fins voiliers, les goélettes, les carènes aux poupes pein-