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canal et des bassins, remuer de la terre et des pierres. C’est-à-dire que nous posséderions cette divine Adoration de l’Agneau, où les anges sont vêtus de nuées, où il y a, dans l’herbe de l’avant-plan, des fleurettes qui sont un inouï jardin de pierreries ; que nous aurions aussi cet Adam, et surtout cette Ève, que le vieux maître, par un prodige de génie, peignit nue et enceinte, vraiment mère du genre humain. Quel trésor ce serait pour Bruges, unique au monde ! C’est cela qui la ferait belle et parée, et répandrait dans tout l’univers la curiosité d’elle. Voyez déjà ce que le petit musée de l’Hôpital et la châsse de Sainte Ursule attirent, à eux seuls, d’étrangers.

Farazyn, que l’accueil froid et la contradiction rencontrés par son projet avaient contrarié, ne répondit plus rien.

Les autres tombèrent à un silence d’intimité, où ils se sentaient d’accord, rêvant pour Bruges la même destinée : les âmes pieuses vont parfois faire une retraite dans les couvents ; ce serait ici, pour les âmes artistes de partout, une retraite laïque, avec la prédication des cloches et l’exposition des reliques d’un grand passé.

À la suite de cette soirée chez l’antiquaire et du projet : Bruges-Port-de-Mer, annoncé par Farazyn, Borluut eut le désir d’étudier, de savoir en détail comment Bruges fut abandonnée par la mer. Trahison brusque !