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présent il était pris tout entier par la vaste œuvre de la décoration commandée, cette fresque qui couvrirait tout une salle de l’Hôtel de Ville et qui pouvait lui valoir la gloire.

Seuls Borluut et Farazyn s’obstinaient encore dans l’ancien idéal. Mais Borluut concevait surtout cet idéal dans le sens de la Beauté. Il avait continué à parer la ville, à sauver les vieilles pierres, les façades rares, les riches vestiges. La restauration de la Gruuthuus, qu’il espérait devoir être son chef-d’œuvre, avançait. Ce serait un trésor de pierre, un écrin unique.

Quant à Farazyn, il poursuivait ce rêve d’une renaissance de Bruges, mais dans le sens de la Vie et par l’action. Un lundi soir, il apporta une nouvelle idée.

Avant son arrivée, la conversation chez le vieil antiquaire languissait, se traînait de bouche en bouche, tombait en route dans de grands trous de silence, où on n’entendait que les fuseaux à dentelle de Godelieve, toujours présente pour remplir de bière blonde les pintes de grès. Farazyn arriva, exalté, loquace :

— Oui ! nous allons fonder une Ligue. Un projet superbe ! C’est la résurrection et la fortune de Bruges. Et nous avons trouvé un titre qui dit tout, sonne comme un clairon : « Bruges-Port-de-Mer ! »

Alors Farazyn développa son plan. Comment n’y avait-on pas songé plus tôt ? Bruges fut puissante