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égorgés aux portes tous ceux qui prononcèrent avec un accent étranger le difficile mot d’ordre : « Schild en vriend. »

C’est Van Hulle qui avait été l’initiateur de cette remise en honneur de la langue ancestrale, comme moyen de nationalisation. Il avait provoqué des congrès et un vaste pétitionnement. Il fut vraiment le premier apôtre de la Cause, à laquelle s’étaient ralliés dans la suite les Borluut, les Farazyn, les Bartholomeus. Aujourd’hui, l’entrain faiblissait. Aucun des espoirs n’avait abouti, sauf en ce qui concerne l’emploi de la langue. Et maintenant qu’ils avaient obtenu gain de cause sur ce point, ils constataient que rien d’important n’en avait résulté pour Bruges, et que c’était tout au plus comme si on avait changé de cercueil une morte.

Tous jugeaient déjà qu’ils avaient été dupes d’un beau rêve illusoire. On voit souvent, dans les villes grises du Nord, derrière l’écran des vitres, quelques personnes groupées autour de la maigre flamme d’un réchaud où bout la théière. Ainsi ils se réunissaient, le lundi soir, autour de leur projet, devenu aussi une flamme qui vivote avec peine.

Chacun avait arrangé sa propre vie. L’antiquaire, vieilli, désabusé, ne songeait plus à la patrie, tout recroquevillé sur lui-même, accaparé par son Musée d’horloges qui lui suffisait. Bartholomeus se confinait dans son culte mystique de l’art, un peu pareil aux Béguines parmi lesquelles il travaillait, surtout qu’à