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tenté, contribua à cette passion qui aboutissait si mal. Du coup, ce fut une reprise de la vie, un rappel d’humanité dans l’au-delà où il échappait, se transfigurait, vivait déjà d’Éternité. Maintenant, la cloche trop humaine rompait le charme d’oubli. Il redevint lui-même. Il se retrouva en présence de Barbe. Elle était dans sa vie comme la cloche est dans la tour. Cette robe de bronze, dure et pourtant affolante, était la sienne. Toute la sensualité, l’ivresse charnelle y montait, s’enroulait en gestes équivoques, en baisers inapaisés. Il y avait des femmes sans fin possédées dans le métal de la cloche. Barbe de même lui résumait toutes les femmes. Leurs attitudes multipliées dans ces lascifs bas-reliefs, elle les assumait à elle seule. Perpétuel émerveillement de son désir ! Devant la cloche de Luxure, Borluut comprit qu’il avait cru en vain s’affranchir. La vie le ressaisissait jusqu’au sommet de la tour. Barbe était là, présente et déjà pardonnée. Il sentit qu’il la désirait toujours. C’est à cause de la cloche obscène. Dès l’origine, elle fut la complice de Barbe. Quand il vit la cloche la première fois, il avait pensé tout de suite à Barbe. Il se pencha au bord, regardant, comme on regarderait sous une robe. Il s’était mis à imaginer sa chair, le nu qu’on pourrait entrevoir.

Aujourd’hui la cloche de Luxure recommençait l’emprise. C’était Barbe elle-même en robe de bronze, qui avait monté au beffroi, s’était glissée auprès de lui, le tentait, déjà oublieuse elle-même