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ville. Celui-ci l’envahit de nouveau, le ressaisit tout entier, ainsi qu’aux premiers jours de la propagande flamande. Comme Bruges était toujours belle, vue ainsi de là-haut, avec ses clochers, ses pinacles, ses pignons, dont les gradins sont aussi des marches pour ascensionner dans le rêve, remonter aux beaux temps d’autrefois ! Entre les toits, des canaux éventés de verdures, des rues tranquilles où quelques femmes en mantes cheminent, oscillent comme des cloches de silence. Paix léthargique ! Douceur du renoncement ! Reine en exil et veuve de l’Histoire, qui ne désirait plus, au fond, que sculpter son propre tombeau ! Borluut y avait contribué. Il reprit joie et orgueil, en y pensant ; il chercha, calcula parmi l’amas immémorial de la ville, les antiques demeures, les façades rares auxquelles il rendit pour ainsi dire un visage. Sans lui, la ville serait en ruine, ou répudiée pour une ville jeune.

Il l’avait sauvée par ses restaurations savantes. Ainsi mise au point, elle ne disparaîtrait plus, elle pouvait traverser les siècles. C’est lui qui avait fait ce miracle dont peu se doutaient, même et surtout cette Barbe qui, étant sa femme, aurait dû s’enorgueillir de lui, et l’accablait, par minutes, de si dure et méprisante façon.

Il était un grand artiste, après tout, dans son art : il avait réalisé là une œuvre anonyme et sans gloire mais admirable, si on avait compris. Il fut l’embaumeur de cette ville. Morte, elle se fût décomposée,