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C’était comme s’il avait vu la vie du point de vue de l’Éternité. Il continuait à la voir ainsi. Toutes ses misères provinrent de là. Un autre aurait deviné, pénétré le sombre caractère de Barbe, son état maladif, hasard de nerfs auquel pour toujours sa vie était suspendue. Et maintenant encore, un autre s’arrangerait, trouverait le moyen d’en imposer, le ton à prendre, les mots qui apaisent, le regard qui dompte ou calme. Un plus avisé, un plus clairvoyant, s’orienterait dans ce dédale de nerfs.

Lui demeurait désemparé, effaré, malhabile, au surplus, ne sachant que souffrir intérieurement, pleurer sur lui-même, s’en aller seul à la dérive. Du moins, il avait le recours de la tour, où, parmi ses grands désarrois, il ne manquait jamais de monter. C’était son refuge immédiat, l’oubli prompt ; et il courait au sommet porter son cœur en sang, l’y laver dans l’air salubre comme dans la mer.

Ainsi, la tour était à la fois le mal et le remède. Elle le rendait inapte à vivre et elle le guérissait de vivre.

Aujourd’hui, encore une fois, Borluut se sentit tout de suite pacifié, convalescent de la peine récente. La solitude avait des baumes ; les nuées plus proches s’effilaient en charpie.

Arrivé au sommet, il vit la ville, à ses pieds, toute reposée, si quiète. Ah ! quelle leçon de calme ! Il eut honte, devant elle, de son existence agitée. Il abdiqua son misérable amour pour l’amour de la