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Les dames agitaient leurs mouchoirs de batiste
Et pour nous saluer se levaient sur leurs bancs.
Comme des violons, les cordes des haubans
Frémissaient et chantaient sous l’archet de la brise.
Le guidon ondoyait ; le foc de toile grise
Montait et s’abaissait comme un sein oppressé.
Deux marins, dans la barque, en tricot bleu foncé,
Tenaient le gouvernail et faisaient les manœuvres.
Les cordages glissaient ainsi que des couleuvres
Dans leurs gros doigts durcis comme des doigts d’airain ;
Et tous les passagers reprenaient le refrain
D’un ancien air flamand qu’on chante sur la côte.
Sous des parasols blancs, entassés côte à côte,
Ils riaient aux éclats, feignant d’avoir grand peur
D’un steamer qui virait, panaché de vapeur ;
Puis en signe d’adieu nous lançaient au passage
Quelques fleurs des bouquets parant chaque corsage
Tandis que les marins manœuvraient à l’avant !…

Mais bientôt le bateau poussé par un bon vent
Loin de nous, dans l’azur, s’envola sur les vagues,
Et l’on n’entrevit plus que les gonflements vagues
Des voiles qui fuyaient dans l’horizon des eaux
Et qui tremblaient au loin comme de grands oiseaux !…