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Nous nous aimions pourtant avec force, avec fièvre,
Et nous nous l’étions dit en nous pressant la main
Quand, le soir des adieux, un baiser de sa lèvre
Avait mis sur mon front l’espoir du lendemain ;

Si bien que, reprenant mon ancienne énergie,
J’oubliais tout, mon spleen et mon doute moqueur,
Heureux de monnayer à sa seule effigie
Les lingots de tendresse enfouis dans mon cœur.

Seul notre amour est mort ! Tout mon courage tombe !
Pour se quitter si tôt, fallait-il tant s’aimer ?
Je sens là dans mon cœur un vide… c’est sa tombe !…
Mais le ver de l’oubli n’y pourra l’entamer !

Quand les vierges d’Égypte étaient mortes phtisiques,
On conservait leurs corps imprégnés de parfum,
Et j’ai de même, aux sons de funèbres musiques,
Embaumé ta mémoire, ô mon amour défunt !

J’ai tissé chaque vers comme une bandelette
Pour te garder intact et pour t’éterniser ;
Pauvre amour ! Dors en paix dans ta blanche toilette ;
Reçois mes derniers pleurs et mon dernier baiser !…