Page:Rodenbach - La Jeunesse blanche, 1913.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
LES JOURS MAUVAIS.

Grande Prostituée aux formes désirables,
Dont la couche s’entr’ouvre à tous les misérables :
Va-nu-pieds, loqueteux, ivrognes, débauchés,
Filles-mères portant le poids de leurs péchés,
Assassins qui s’en vont vers sa froideur qui bouge
Dans l’espoir d’y laver leurs taches de sang rouge,
Artistes dédaignés aux tragiques profils
Dont un coup de folie a mêlé tous les fils
Qui tournent dans la tête aux fuseaux blancs du rêve.
Tous elle les attire, elle les veut, sans trêve !
Encor ! Toujours ! Encor ! Des amants ! Des amants !
Et, fausse, elle leur fait de sensuels serments
Qu’ils s’en iront bien loin, ses amoureux cadavres,
Voyager dans les mers, dans les ports, dans les havres,
Sentant des baisers froids ― si froids qu’ils brûleront ―
Passer toujours sur eux, sur leur bouche et leur front ;
Et l’eau pour les avoir dans sa couche profonde
Entrebâille soudain, comme un peignoir, son onde
À tous les douloureux, à tous les détraqués,
Et leur tend les grands bras de pierre de ses quais !